« L'on écrira Gurs comme l'on écrit Chéronée » Loys Masson, 1943. Toulouse n'est pas une ville sans histoire concernant le phénomène des camps vichyssois. De 1941 à 1944, elle fut choisie par l'Union générale des israélites de France (U.G.I.F.) pour abriter le siège de la commission chargée d'assister les juifs internés de zone sud. Enfin, en août 1942, au plus fort des convois raciaux, le silence qui jusqu'alors entourait l'existence des camps français fut brisé par Mgr Saliège : « Des scènes d'épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou ». Le choix du lieu n'était donc pas fortuit, celui du moment non plus , le colloque sur les camps du sud ouest de la France (1939-1944), organisé par plusieurs chercheurs et universitaires sous le patronage d'André Méric, secrétaire d'État aux Anciens combattants et Victimes de guerre, qui se déroula à Toulouse en avril 1990, eut lieu plus de quarante ans après la contribution de Joseph Weill et quatre ans seulement après les mémoires du rabbin René Kapel, ex-aumônier des internés juifs du Sud-Ouest. Il était donc temps de faire un état des connaissances sur les camps avec leurs deux aspects principaux : l'internement et la déportation; ce bilan était nécessaire ; pendant deux journées, il porta à la fois sur le système vichyste de l'internement (avec le problème de l'héritage républicain de 19391940) et sur l'organisation des convois raciaux par la préfecture aux ordres du ministère de l'Intérieur. Dans cette histoire, les juifs internés occupèrent une place importante, mais pas la seule.
Dans la France pétainiste, le ministère de l'Intérieur n'interna les juifs étrangers qu'à partir d'octobre 1940, mais de facto beaucoup parmi eux
étaient depuis longtemps les pensionnaires des camps français en tant que réfugiés allemands, communistes, étrangers « indésirables ». L'internement dans les « camps spéciaux » des juifs étrangers fut ainsi un avatar vichyssois de la politique d'exclusion discrètement mise en place par les derniers gouvernements de la IIIè République. Néanmoins, Vichy n'enferma pas que des juifsétrangers ; parmi les autres « hébergés », il y avait surtout des étrangers comme des milliers de réfugiés espagnols dans les camps dès février 1939, mais aussi des centaines de Français : communistes, résistants, réfractaires au S.T.O., nomades, droit commun (marché noir, proxénétisme, prostitution, etc.).
Les camps français servirent de lieu commun à tous ces exclus de la Révolution nationale, mais pour les juifs, qui les peuplaient en partie, ils
furent de plainpied connectés au projet hitlérien dit de la « solution finale ». Par la suite, leur fonction fut dédoublée : de rouages de l'appareil
répressif français qu'ils étaient depuis 1939, ils devinrent après l'été 1942 des maillons la de la chaîne exterminatrice s.s. Les camps vichyssois ne se résumaient donc pas à des camps de juifs, mais l'histoire des juifs dans les camps français résume bien leur dérive, qui les transforma en 1942-1944 en autant d'antichambres d'Auschwitz.
Sous la IIIè République, les principaux lieux d'internement côtoyaient la Méditerranée (Argelès, SaintCyprien, Les Milles, etc.). Quelques avant postes au pied des Pyrénées Le Vernet, Gurs anticipaient déjà la prolifération des camps dans le SudOuest sous Vichy. Dans la région créée autour deToulouse en avril 1941, presque tous les départements avaient leurs « formations permanentes » : Noé, Le Récébédou, Clairfont en Haute-Garonne ; LeVernet, Aulus les Bains en Ariège ; Caylus, Septfonds, Montech en Tarn e tGaronne ; Brens, Saint-Sulpice dans le Tarn, etc. Ces camps étaient des plus variés, d'architectures opposées : baraques en dur ou en bois, avec ou sans miradors ; d'affectations multiples , la répression, l'« hébergement », l'« accueil », l'hospitalisation, le travail; avec enfin des populations mixtes : étrangers ou Français, juifs ou « aryens »... Cependant, ils avaient pour point commun d'être partie intégrante du système de l'internement vichyssois et d'être concentrés dans une même région. La région centre, autour de la capitale Vichy, fut pour les internés une sorte de no man's land et, parmi les régions périphériques, celle de Toulouse fut en effet une de celles dont l'espace comprenait le réseau le plus dense de camps de la zone Sud.
Le colloque a apporté un début de réponse à quelques questions liées au problème de l'internement, qui connut de 1939 à 1944 plusieurs grandes étapes :
1939 : l'hébergement des « étrangers indésirables » (réfugiés espagnols et allemands)
1940 : l'internement des juifs étrangers;
1942-1944 : leur déportation ; les camps furent alors transformés en réservoir des convois raciaux organisés par l'Intérieur. Des centres de
regroupements occasionnels furent également organisés en vue des déportations.
D'autres questions furent évoquées : le secours et l'assistance aux internés et les liens avec les organisations de résistance. L'évolution suit une pente qui plaça les camps en quelques années dans des logiques différentes mais complémentaires : l'exclusion, l'internement puis la déportation.
Cet engrenage qui débuta sous la nie finissante et fut accéléré par le régime de Vichy, cette dérive de l'intemement français, soulève une interrogation : comment l'histoire des camps du sudouest de la France a-t-elle pu commencer à Argelès en février 1939 et finir à partir d'août 1942 à Auschwitz ? Pour y répondre, le colloque de Toulouse, dont les débats furentanimés par Lucien Mandeville, réunit les 24 et 25 avril 1990 des universitaires (Pierre Laborie, Mechtild Gilzmer, Jean Estèbe, Claude Laharie, Anne Grynberg) mais aussi des personnalités connues pour leurs combats contre l'oubli (Serge Klarsfeld, Gérard Gobitz, Michel Slitinsky). Depuis, pour compléter ces communications, des articles furent suscités pour tirer du silence quelques camps peu connus (Septfonds, Le Vernet, SaintSulpice et Brens, Noé, Tombebouc et Casseneuil) et, pour évoquer la destinée des réfugiés républicains espagnols, deux témoignages irremplaçables sont republiés avec l'autorisation de leurs auteurs : René Samuel Kapel (ancien aumônier israélite des camps du sud-ouest de la France) et Gret Amoldsen (ex-interné à Gurs et avant à Noé).