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Il y
a des pays où les gens aux creux des lits font des rêves ...
Antonio ! Je m'appelle
Antonio. J'étais anarchiste, anarchiste espagnol. En 36, j'ai cru au
bonheur, à la liberté. J'ai espéré ne plus devoir
attendre, aligné avec mes camarades contre le mur de l'église,
que les propriétaires daignent me choisir pour cueillir les olives
ou les amandes dans leurs champs. J'ai rêvé d'un monde plus juste,
j'ai rêvé de pouvoir donner du pain à mes enfants. Et
puis, il y a eu Franco. Avec tant d'autres, j'ai hurlé " no
pasaran ". Je me suis battu. J'ai cru mille fois mourir à
Madrid ou ailleurs ... Ils sont passés !
Je me suis battu
encore jusqu'à ce que cela ne fût plus possible, jusqu'au bout
de mes forces, avec ma vieille pétoire, avec mes poings. Mon père
a été fusillé dans la cour de la ferme, devant sa femme,
devant mes jeunes frères, parce qu'il refusait de crier " Vive
Franco ". Ma mère est folle aujourd'hui. Folle de douleur ...
Ils sont passés !
Trahi par Staline,
vaincu par Franco, j'ai traversé les Pyrénées. Exténué,
j'ai rejoint la France. Et j'attends. J'attends comme un voleur. J'attends
parmi les damnés, les éternels vaincus de l'Histoire. J'attends
dans la boue, dans le froid, prisonnier au pays des libertés. J'attends
de pouvoir un jour retourner au pays. J'attends de revoir ma femme, mes enfants.
Que sont-ils devenus ? Et ma mère, et mes frères ?
Demain, après-demain,
dès que possible, je m'enfuirai, j'irai les rejoindre. Ici, ma vie
n'a plus de sens. Et puis, il y a cette crasse, l'humidité des baraques
de planches, les barbelés, la solitude, le déshonneur. Malheur
aux vaincus ! Ici, rien n'a plus de sens ! Il doit bien y avoir
un pays où les gens aux creux des lits font des rêves ...
…
Je m'appelle Sarah.
J'étais juive, juive allemande. J'étais heureuse. Nous vivions
bien, tous ensemble dans notre petit appartement. Nous étions heureux,
nous avions des amis. Enfin, plus à la fin ! On nous a tourné
le dos. On nous a cousu des étoiles jaunes sur le cœur. Nous n'avons
pas vraiment senti le vent tourner ... Ils sont passés !
Un jour, en rentrant
de l'école avec les enfants, un attroupement s'est formé dans
la rue. Des brutes en uniforme frappaient un homme sur le pas de sa porte.
C'était notre porte, c'était mon homme !
Il a juste eu
le temps de me faire signe de passer mon chemin. Son visage était ensanglanté.
Il ne m'a pas regardée pour ne pas me trahir. Il a juste fait un signe
de la main : " Va, continue comme si de rien n'était !
Pense aux enfants ! " Il a juste levé la main pour
me désigner le bout de la rue. Un soldat l'a frappé au visage
avec la crosse de son fusil. Il s'est effondré sur le trottoir sans
que mon regard puisse, une dernière fois, croiser le sien ... Ils sont
passés !
Au bout de la
rue, j'ai tiré les enfants par la main. Je me suis mise à courir.
Depuis, je n'ai jamais vraiment cessé de courir. J'ai traversé
le Rhin. Moi aussi, j'y ai cru à la France des libertés. Elle
m'a vite jugée indésirable.
Moi, je ne désirais
plus rien, sinon un refuge pour mes petits. Ici, je peux encore les serrer
contre mon coeur, caresser leurs boucles brunes. Mais pour combien de
temps encore ? Ils sont si faibles. Demain, nous prenons le train. Beaucoup,
parmi nous, croient que ce camp est l'enfer. Je crains qu'il ne soit que la
porte de l'enfer ! Demain, nous prendrons le train ! Il doit bien y avoir
un pays où les gens aux creux des lits font des rêves ...
J. HERREROS
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